Je me suis mise à la gravure...
Aujourd'hui quand le livreur est arrivé
avec le matériel que je venais de commander, c'était un peu Noël.
Dans le salon j'ai tout déballé en éparpillant les hachures de
papier qui protègent le contenu de nos colis. Je sais pas vous mais
moi j’adore cette matière. Ça me donne envie de m'en faire un
nid.
Mais cette fois-ci, parmi les hachures
de prospectus et autres documents sans intérêt, il y avait du
papier manuscrit. J'ai trouvé ça bizarre. J'ai regardé de plus
près et j'ai vu un petit bout de dessin.
Je suis du genre à jeter mes dessins
et mes cahiers, mais c'est toujours avec nostalgie. J'ai été émue
par ce dessin qui avait été oublié, passé dans un destructeur de
documents, fourré dans un colis qui était arrivé chez moi par
hasard.
C'était un appel à la perte de temps... « Je ne vais quand
même pas jouer au puzzle avec des vieux papiers ! ». Je
devinais des petites fleurs dans une sorte de serre. J'ai pensé aux
caisses dans lesquelles on faisait voyager les végétaux par bateau.
Ma curiosité a pris le dessus.
J'adore les puzzles et toutes ces
choses minutieuses qui ne servent à rien. Quand j'étais au collège,
je demandais à ce qu'on déchire des lettres en petits bouts pour
les recoller et les déchiffrer. A chaque fois que je vois des
hachures de papier je pense à un épisode de Superman où il
recomposait un document haché grâce à ses super pouvoirs... Pas très héroïque mais ça m'avait marqué.
C'est décidé, aujourd'hui je sauve un
dessin.
J'ai trié le gros tas de papier pour
trouver les petites lamelles de dessin parmi les prospectus. J'ai
essayé de recomposer le puzzle et j'ai collé les bouts un à un.
Je ne pouvais absolument pas déchiffrer
le texte et petit à petit des mots apparaissaient. Une petite
écriture soigné qui parlait de fleurs et de soleil. J'étais dans
un état d'euphorie totale. J'avais l'impression d'être un
égyptologue découvrant un sarcophage. Malheureusement, j'ai eu beau
tourner et retourner mon tas de papier, je n'ai pas trouvé la fin du
dessin. Peut-être que les lamelles manquantes sont dans un autre
colis quelque part...
Alors j'ai tapé les fragments du texte que j'avais
sur Internet en espérant qu'ils me mèneraient quelque part. Et j'ai
trouvé un poème. La clé du mystère.
Épitaphe pour un lièvre
Au
temps où les buissons flambent de fleurs vermeilles,
Quand déjà le bout noir de mes longues oreilles
Se voyait par-dessus les seigles encor’ verts,
Dont je broutais les brins en jouant au travers,
Un jour que, fatigué, je dormais dans mon gîte,
La petite Margot me surprit. Je m'agite,
Je veux fuir. Mais j'étais si faible, si craintif !
Elle me tint dans ses deux bras : je fus captif.
Certes elle m'aimait bien, la gentille maîtresse.
Quelle bonté pour moi, que de soins, de tendresse !
Comme elle me prenait sur ses petits genoux
Et me baisait ! Combien ses baisers m'étaient doux !
Je me rappelle encor’ la mignonne cachette
Qu'elle m'avait bâtie auprès de sa couchette,
Pleine d'herbes, de fleurs, de soleil, de printemps,
Pour me faire oublier les champs, les libres champs.
Mais quoi ! L'herbe coupée, est-ce donc l'herbe fraîche ?
Mieux vaut l'épine au bois que les fleurs dans la crèche.
Mieux vaut l'indépendance et l'incessant péril
Que l'esclavage avec un éternel avril.
Le vague souvenir de ma première vie
M'obsédant, je sentais je ne sais quelle envie ;
J'étais triste ; et malgré Margot et sa bonté
Je suis mort dans ses bras, faute de liberté.
Quand déjà le bout noir de mes longues oreilles
Se voyait par-dessus les seigles encor’ verts,
Dont je broutais les brins en jouant au travers,
Un jour que, fatigué, je dormais dans mon gîte,
La petite Margot me surprit. Je m'agite,
Je veux fuir. Mais j'étais si faible, si craintif !
Elle me tint dans ses deux bras : je fus captif.
Certes elle m'aimait bien, la gentille maîtresse.
Quelle bonté pour moi, que de soins, de tendresse !
Comme elle me prenait sur ses petits genoux
Et me baisait ! Combien ses baisers m'étaient doux !
Je me rappelle encor’ la mignonne cachette
Qu'elle m'avait bâtie auprès de sa couchette,
Pleine d'herbes, de fleurs, de soleil, de printemps,
Pour me faire oublier les champs, les libres champs.
Mais quoi ! L'herbe coupée, est-ce donc l'herbe fraîche ?
Mieux vaut l'épine au bois que les fleurs dans la crèche.
Mieux vaut l'indépendance et l'incessant péril
Que l'esclavage avec un éternel avril.
Le vague souvenir de ma première vie
M'obsédant, je sentais je ne sais quelle envie ;
J'étais triste ; et malgré Margot et sa bonté
Je suis mort dans ses bras, faute de liberté.
Jean RICHEPIN
(1849-1926)
Maintenant on peut imaginer la partie manquante du dessin.
Aujourd'hui je me disais que tout allait de travers. Et je suis
tombée sur ce poème grâce à une suite de coïncidences et à une
enquête complètement fantaisiste. Le genre d'évènements qui me
font aimer les activités qui « ne servent à rien ».
Maintenant j'ai envie de rendre hommage
à ce poème et à ce lièvre avec les matériaux de gravure que j'ai commandé.
Merci à l'élève appliqué qui a du bien grandir et qui a fait un
jour ce joli dessin. J'ai encore un sac plein de bouts de cahier.
Peut-être de nouvelles découvertes si j'ai le courage de les
recomposer.
Ah ah! Je suis absolument trop fan de toi! ^^ Tu as un grain qui rend ton ordinaire magique!
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