mardi 20 novembre 2012

Marojejy, journal de bord

Merci à Camille pour ses photos. J'ai pris des photos de dessins que j'ai fait en souvenir de nos private jokes à Marojejy. Désolée pour la qualité, j'ai pas de scan.


Jour -1
Je fourre mes affaires en vrac dans mon sac au dernier moment. De quoi a t-on besoin lorsque l'on part pour 5 jours en forêt vierge ? Je prend le minimum ; je vais devoir porter mon sac jusqu'au sommet de Marojejy, la quatrième plus haute montagne de Madagascar.
On a fait la liste des provisions avec Camille. On va la faire à la malgache : riz matin midi et soir, haricots secs et coco pour accompagner et poulet pour les protéines. Avec Bélucien on fait le marché d'Ankoalabe avant de partir pour Sambava avec le fourgon de l'école verte. On doit ensuite rejoindre Andapa en taxi brousse pour y passer la nuit avant notre arrivée en forêt.


Camille fait la paparazzi pendant qu'on achète les poulets avec Bélucien. Il me montre comment choisir les plus tendres alors que je choisis bêtement au poids. On repart avec un coq et deux poules qui vont être choyés jusqu'à leur passage à la casserole. 



Jour 1
On est paré pour Marojejy. A l'entrée du parc on négocie le nombre de porteurs. Notre guide s'appelle Moïse donc on est certain d'arriver au sommet.
Je suis remontée à bloc ; je m'élance sur la piste tel un lémurien intrépide, loin derrière nous Moïse traîne la patte. On a de la chance, il fait super beau.
Il fait chaud. Il fait vraiment chaud en fait. J'ai oublié mes lunettes... En plus depuis quelques jours je ne supporte pas mon traitement antipaludéen... ou peut être que c'est les 9 bouteilles de bières qui allaient avec... J'ai la tête qui tourne. Une demi-heure après le départ je m'écroule au bord de la route, malaise général.
Heureusement que Camille est là pour s'occuper de moi parce que Moise nous dépasse en rigolant et en lançant au passage "c'est pas maintenant qu'il faut être fatigué". Ok, on ne va peut être pas arriver au sommet finalement...
Qu'est ce que je fait là ? Pourquoi j'essaie de jouer la sportive ? Je sais bien pourtant que je prends toujours le plus petit circuit du tro Menez Are, que je n'arrive jamais au bout de mon km à la redadeg.
Qui j'essaie de berner ?
Mais arrêter là ce n'est pas envisageable, ce serait trop la honte, on n'est même pas encore entré dans la forêt. Finalement je repars pas trop fière avec mes vertiges sous un soleil de plomb. Il fait près de 40 degrés.
On arrive enfin à la limite de la forêt primaire. Changement d'ambiance : ombre salvatrice et bruits inconnus. J'ai un peu honte de moi quand je me dit "tiens cette grenouille fait un bruit de poteau électrique" ou "le chant de cet oiseau est comme une sonnerie de portable". Je me retrouve vite seule et me laisse envelopper par cette nouvelle atmosphère. Je suis contente d'arriver au camp 1. Le coq est déjà tué et le repas servit. Je mange, me lave au seau et m'écroule sur ma couchette en pensant "ça c'était la partie la plus facile... Je vais mourir ici. C'est un bel endroit pour mourir."


Là je fais encore ma maline. Je ne le sais pas encore mais dans 300 mètres je suis par terre. 


Eurycère de Prévost (Euryceros prevostii) sur son nid.


Arrivée au camp 1



Jour 2
Je n'ai pas dormi de la nuit. J'en avait pourtant bien besoin. Aujourd'hui ça va être plus difficile : on doit monter jusqu'au camp 3. 
Finalement ça va. On y va doucement et on prend le temps de bien observer ce qui nous entoure (et il y a de quoi). Je redoutais le parcours qui tient plus de l'escalade que de la marche mais en fait c'est fun (cf photo).  La végétation change avec l'altitude. C'est beau. J'arrive trempée de sueur mais contente au camp 3. On est seuls dans une forêt au niveau des nuages. A la lueur de la bougie on boit un rhum pendant que Bi termine de préparer le repas. Moïse nous montre des casses-têtes avec un bout de papier et 10 haricots. Des mangoustes trop mignonnes tournent autour de notre campement. On décide de se lever avant l'aube le lendemain pour voir le lever de soleil du haut de Marojejy. Il est temps d'aller se coucher. 


Qu'est ce qu'on se marre !


Une Mantella laevigata


Un glomeris (Sphaerotherium sp.


Le très rare propithèque soyeux (Propithecus candidus) et son petit. 





Une mangouste trop mignonne (Galidia elegans)

Jour 3
J'ai entendu grignoter toute la nuit. Quand on se lève Camille voit, éparpillé partout sur son lit, les cacahuètes qu'elle avait oublié dans son sac. Un réveil original. Il fait encore nuit. On se dépêche d'avaler notre plâtrée de riz avant de partir. Camille met du miel dans son riz pour en faire un petit déjeuner. Moi je suis contente de manger les restes de poulet.
Aujourd'hui on doit atteindre le sommet et redescendre au camp 2. L’ascension se passe bien. On y va mora-mora (doucement) et la végétation, qui devient plus petite avec l'altitude, nous laisse apercevoir la vue un instant. Les nuages arrivent rapidement et une fois au sommet on ne voit plus rien. On est complètement isolés sur notre tas de caillou. Bélucien en profite pour passer un coup de fil. C'est le seul endroit où l'on capte dans la région.


Le lever de soleil. C'est raté pour le voir du sommet.


On a le look coco. On a mis les k-ways pour faire coupe-vent mais en vrai on crève de chaud.


Ça c'est fait. Maintenant on peut redescendre. 
(En fait c'est seulement 2 jours plus tard qu'on apprend que notre guide s'appelle Mosesy. On est quand même bien arrivé au sommet. Ça n'a pas eu l'air de lui poser problème qu'on l'appelle Moïse pendant 4 jours...)



Quand on commence à redescendre on se dit qu'on a fait le plus dur. Et en même temps on sait tout le chemin qu'il nous reste à faire... Quand mes jambes tremblent au bout de 100 mètres je me dis que je ne suis pas au bout de mes peines. En plus mon pantalon vient de se déchirer sur une racine. J'ai les fesses à l'air. Au bout de 500 mètres mes quadriceps me rappellent douloureusement leur existence à chaque pas. Arrivé au camp 3 je n'arrive plus à plier les genoux. Il faut encore descendre jusqu'au camp 2. Portée par un élan inattendu j'arrive à semer les gars qui sont avec nous. Camille, elle, gambade loin devant moi. Je suis seule et bien contente de l'être parce que je suis dans un état pitoyable. Mes jambes ne répondent plus. Elles me font tellement mal que parfois j'hésite à me laisser tomber plutôt que de devoir marcher. Si je roule, j'arriverais plus vite en bas... Je peux pas j'ai le sac à dos de Gweltaz. Je me traîne, les fesses à même la boue. Je me laisse dévaler la pente en me rattrapant aux arbres. Une sangsue en profite pour me bouffer la main (la salope). Ce dernier kilomètre est le plus long de ma vie. Des fois je pousse un cri ; ça ne sert à rien mais ça fait du bien. Quand j'avance à reculons j'ai un peu moins mal. Au moins j'arrive à plier les jambes ; donc je termine à quatre pattes à reculons... la grande classe.  
Quand j'arrive enfin au camp 2 je compte chaque pas entre la douche, la table et le lit. Une conne d'américaine utilise la "douche" et me fait faire un aller retour de 12 pas au moins pour rien. Je vais la buter.
Je dors comme un loir malgré les araignées sympas (qui font la taille d'une poutre) sur notre tente trouée.


Araignus sympaticus


Notre cuisinier a le temps de faire la vaisselle, de nous dépasser tranquillement en sautillant entre les branches pour que le repas soit près quand on arrive au camp suivant. C'est quand même le grand luxe ! En plus il cuisinait super bien. Ce dessin est a peine exagéré... sauf que bien sûr les escargots ne parlent pas... même à Marojejy. Reraka be = grande fatigue ; malakylaky = plus vite. 


Jour 4
Je me réveille. Pas possible. Je me rendors... Je me réveille. Bon. Agissons de manière raisonnée, faisons la liste des muscles qui répondent à l'appel : les joues, les doigts, les épaules, les orteils, les fessiers un peu... J'essaie de réfléchir à une position qui me permettrait d'atteindre le camp 1. Je crois que la position "civière" serai pas mal mais ce n'est malheureusement pas une option. 
C'est pas grave, j'ai toute une journée pour atteindre le camp 2, je vais prendre tout mon temps pour observer la forêt. Voilà un petit aperçu. 



Un Brookesia


Coua caerulea


Une petite orchidée


Une Gasteracantha


Une Asplenium nidus en haut à droite


Un Hapalemur griseus occidentalis


Un Sanzinia madagascariensis mais je n'en suis pas certaine



Un insecte funcky. Vous êtes vachement avancés hein !
Par contre si quelqu'un a le nom je suis preneuse.  


Sur le chemin du retour, Bélucien se moque gentiment de moi en marchant comme un handicapé. 


Jour 5
J'avais vraiment besoin de sommeil... Pas de bol.
Morphée me criait de la rejoindre quand un truc a bondi sur mon lit près de ma tête. "Camiiiiille, allume ta lampe y'a un truc sur mon liiit !". Un rat. C'était vraiment le bon moment pour nous faire chier. Je n'ai aucun problème avec les rats. Je trouve ça même plutôt mignon. Mais quand tu es dans le noir complet au milieu de la jungle avec une lampe solaire qui n'a que 5 minutes de batteries et que tu t'attends à chaque instant à avoir un rat qui te tombe sur le coin de la gueule... tu ne vois pas les choses de la même manière.

Ok, la dernière nuit n'a pas été super agréable, mais j'affirme qu'à aucun moment je n'ai pas été heureuse d'être là. Jamais je n'ai regretté. Jamais je ne me suis sentie en danger. Passer plusieurs jours en forêt primaire est une expérience inoubliable et je la souhaite à tous.



J'ai simplement attendu le lever du jour. Les cris des animaux se succèdent comme dans un orchestre. On n'a pas besoin de montre, les oiseaux se mettent à chanter, il est temps de rentrer. Je suis fatiguée.
Je me lève sans avoir fermé l'oeil de la nuit. Il faut partir. Après 4 jours de soleil, il se met à pleuvoir. Sur la route on se presse. Je ne pense pas à mes courbatures, je marche en silence. J'ai hâte de rentrer et en même temps je ne veux pas quitter cet endroit. Quand on arrive à la lisière de la forêt, je ne veux pas m'arrêter. Comme sur le quai d'une gare quand on se précipite pour ne pas voir partir le train. Je fais mes adieux à la forêt. Je baisse les yeux, le paysage est trop dégagé. Le vide est pesant, on est trop dévoilés, on est nus. Je compte sur la pluie pour cacher mes larmes.
Veloma marojejy.




Si vous voulez découvrir plus d'espèces farfelues de Marojejy, je vous invite à consulter l'album de Eric Mathieu. Bonne visite !




10 commentaires:

  1. C'est magnifique ce récit, et très drôle aussi. Sniflol

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  2. ur gwir plijadur meus bet en ur lenn ac'hanout. ken ar c'hentan. Sandrine Coum

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  3. waou, pebezh baleadenn ! dreist, estra dreist eo lenn ac'hanout ! farsus eo, sonjet 'moa ennout dec'h : tiens, 'meus kelou ebet gant Anna abaoe ur frapad amzer......hag hiziv ar pennad ! trugarez dit ! kalz a blijadur a souetan dit !
    pokoù
    Jeannine

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  4. Clap, clap, clap... joli !
    (Ah ben c'est là qu'il est passé mon sac ! Je le cherchais l'autre jour...)

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  5. dreist eo ! va deiz ha bloaz oa. Trugarez Anna ;)
    yvette

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  6. Deiz-ha bloaz laouen dit Yvette !

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  7. Bien marrant comme récit d'aventures ! Félicitations et santé aux prochaines ! Éric Mathieu.
    http://www.marojejy.com

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  8. ah ah, lire ton récit ça m'a rappelé de bons souvenirs. malakalaky !
    sophie

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